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Interview avec Aude par ARTEMORBIDA textile art magazine 🇫🇷

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portrait of sculptor Aude Franjou

Aude Franjou in 2021

Sculptures non conventionnelles allant de formes monumentales Ă  des miniatures sinueuses oĂą rien n’est laissĂ© au hasard, les Ĺ“uvres d’Aude Franjou, artiste des fibres et sculpteur nĂ©e en 1975, formĂ©e Ă  l’Ecole SupĂ©rieur d’Arts AppliquĂ©s DuperrĂ©, Paris, s’inspirent de l’architecture botanique, de la tactilitĂ© rugueuse des Ă©corces d’arbres, des ramifications des coraux.

 

Ces Ĺ“uvres Ă©mergent du geste physique, rĂ©pĂ©tĂ©, systĂ©matique, d’une technique affinĂ©e au fil du temps qui incorpore des matĂ©riaux ruraux comme le lin et le chanvre bruts, des fibres qu’Aude Franjou piège habilement avec des fils de lin dans des nuances de rouge, jaune, bleu et blanc.

La lecture de ces Ĺ“uvres vibrantes et intenses dĂ©voile les passions et les nuances complexes des sentiments de l’artiste, qui nous invite, Ă  travers les formes, les couleurs et les espaces, Ă  entrer en rĂ©sonance avec l’essence d’un univers crĂ©atif Ă©vocateur et inĂ©dit.

Après avoir obtenu un diplôme en histoire de l'art, vous avez complété votre formation à L'École Duperré en vous spécialisant dans l'art textile et la tapisserie. Quels aspects, techniques ou caractéristiques du tissage sont présents dans votre travail aujourd'hui ? Comment et pourquoi en êtes-vous venue à développer votre technique sculpturale personnelle hors du métier à tisser ?

L’usage du fil est la continuitĂ© entre ma formation et mon travail actuel.
Je travaille mes pièces avec une technique appelĂ©e l’enrobage. C’est une technique qui consiste Ă  entourer une matière brute par un matĂ©riau plus affinĂ©, plus noble. On en retrouve l’utilisation dans la corderie, dans le textile…
Pour ma part en sortant de l’Ă©cole j’avais dans l’idĂ©e de travailler sur les Ă©corces des arbres. J’ai fait une sĂ©rie de photos en macro, puis un carton et pour finir une tapisserie… autant dire que je perdais toutes les veines et tous les creux en un mot les reliefs des Ă©corces mĂŞme si je travaillais la couleur.
Je me suis alors tournĂ©e vers des tapisseries monochromes et j’ai commencĂ© Ă  travailler en volume au moyen de la technique de nĹ“ud et d’excroissance, techniques que l’on retrouve dans le travail Magdalena Abakanowicz.
Ensuite j’ai dĂ©cidĂ© de travailler avec des matĂ©riaux vĂ©gĂ©taux, naturellement le lin s’est imposĂ©.
Pour ce qui est de la technique j’ai laissĂ© le tissage du cadre de tapisserie, et j’ai posĂ© mes fils au sol. Avec la tension de l’enrobage les volutes de matières sont apparues, les volumes que je cherchais Ă©taient lĂ . Au dĂ©but, il s’agissait de toutes petites pièces, faites au fil. J’ai gagnĂ© en confiance avec le temps, et j’ai pu passer Ă  une autre Ă©chelle.

Quelle est votre source d’inspiration ?

Je suis très inspirĂ©e par la nature qui m’entoure, les racines, les lianes, mais aussi le squelette humain, les coraux, les algues, les arbres. Je me suis demandĂ©e rĂ©cemment ce qui me manquerait le plus si je devais dĂ©mĂ©nager, la rĂ©ponse s’est imposĂ©e : la forĂŞt car j’habite au cĹ“ur d’un massif forestier, riche en essences, en odeurs, en paysages qui m’inspirent. De la taĂŻga avec ses bouleaux, aux pins maritimes et les allĂ©es de sables blancs, aux chĂŞnes sĂ©culaires en passant par le chaos des rochers et leurs formes incroyables travaillĂ©es par l’érosion. Et puis l’ocĂ©an toujours en mouvement et si souvent retrouvĂ© me rĂ©gĂ©nère aussi.
Le point commun entre toutes ces choses, c’est la manière dont la nature, dans son Ă©volution prend et grandit, nous surprend par son harmonie, son esthĂ©tisme. La nature m’émerveille et m’interroge car il n’y a pas au naturel de fausse note ou si peu. Le monde dans lequel nous vivons devrait questionner chacun d’entre nous, que faisons nous et comment traitons nous ce monde vivant qui nous entoure ?

Vous utilisez une gamme réduite de matériaux pour créer vos sculptures, exclusivement de la ficelle de lin et de la filasse de chanvre. Quelles sont les qualités techniques mais surtout sensorielles et expressives que vous leur trouvez et qui vous ont amené à les adopter comme matériaux de prédilection pour votre travail ?

Aujourd’hui mon choix se porte sur le lin. J’ai choisi le lin comme support de mon travail. Est-ce une rĂ©miniscence d’images de l’enfance ? j’habitais Ă  la campagne au printemps les champs de lin se couvraient de milliers de fleurs bleues, blanches, roses c’était magnifique. Et puis il y avait le bord de l’ocĂ©an, les cordes des bateaux dans le port de la Cotinière, vivantes, mouvantes, sages ou menaçantes, prenez vous les pieds dans un paisible rouleau de corde, votre cheville cèdera mais pas la corde ! quelle robustesse. C’est Ă©mouvant l’usure d’une corde tant de fois saisie par des mains d’hommes…ou de femmes. J’utilise la filasse de lin comme “âme” de mes sculptures et la ficelle plus ou moins fine pour le travail d’enrobage. Je crĂ©e la forme en mĂŞme temps que je la sculpte, je vis l’instant avec elle, mes Ă©motions, mes rĂ©flexions traversent mon travail.
Le lin est une matière plus complexe qu’il n’y paraĂ®t. Imaginez la tige lĂ©gère qui se courbe sous le vent et qui transformĂ©e devient d’une robustesse sans Ă©gale. La fibre de lin est incroyablement vivante, elle Ă©volue selon les conditions climatiques. Au très fortes chaleurs la matière s’assouplit, devient presque tendre, tandis que l’humiditĂ©, le froid la rendent raide, rĂŞche et dure au point de m’abĂ®mer les mains ! Il faut alors dompter cette matière qui se rebelle et ne se laisse pas faire, rien d’inerte dans le lin.

Bien souvent, vos sculptures quittent les espaces de la galerie d'art pour s'insérer et s'intégrer dans l'espace macroscopique de la nature. Cette caractéristique de votre travail a-t-elle des points de contact, en termes conceptuels, avec le Land Art ? Vos œuvres ont-elles pour origine et sont-elles conçues pour faire partie intégrante du paysage naturel ?

Il est vrai que j’ai exposĂ© un temps en milieu naturel . Mais plus que la nature au sens gĂ©nĂ©ral du terme, c’était la symbiose de mon travail avec les arbres qui m’intĂ©ressait. De ce fait je ne pense pas m’ĂŞtre inscrite dans le mouvement du land art qui fait valoir un certain cĂ´tĂ© “éphĂ©mère”, mais le concept est intĂ©ressant et gĂ©nĂ©reux. Donner Ă  voir au plus grand nombre, magnifier la nature c’est presque une forme de spiritualitĂ©.
Depuis plusieurs annĂ©es, mon travail se nourrit de la nature mais l ‘immense majoritĂ© du temps je travaille en atelier. Mes pièces sont conçues comme des morceaux de quelque chose en devenir, non pas comme un patron de couture dĂ©jĂ  figĂ©, mais une construction qui progresse au fil du temps. J’y passe beaucoup, beaucoup de temps. Chaque morceau vient se combiner avec le prĂ©cĂ©dent, composant comme un kalĂ©idoscope. Je compte beaucoup sur mes mains et mon imaginaire qui font du sur mesure !

Comment vos œuvres ont-elles évolué entre vos premiers travaux et vos travaux récents ? Y a-t-il un projet qui vous tient à cœur mais que vous n'avez pas encore pu réaliser ?

Après une pĂ©riode de sculptures assez monumentales, mes pièces avec le temps sont devenues de plus en plus intimes. Sans renier les travaux de mes dĂ©buts, je travaille aujourd’hui Ă  une autre Ă©chelle. C’est une Ă©volution qui m’apporte beaucoup comme un recentrage en profondeur. je ne me fixe qu’une contrainte: conserver la technique que j’ai mise au point! Comme la vie, les formes Ă©voluent. La maturitĂ©, les expĂ©riences, l’environnement, la vie intĂ©rieure impactent mes recherches.
Après avoir travaillĂ© des pièces très denses, très fermĂ©es,et très colorĂ©es, je travaille en ce moment des pièces tout en lĂ©gèretĂ© et en transparence, tout en blancheur. Je m’inspire des formes incroyables des coraux.
Je prĂ©pare une installation autour de ces pieces blanches, blanc qui evoquent la mort du corail. Il s’agira d’une installation pointant le rĂ©chauffement climatique. Sous les yeux des visiteurs des coraux reprendront vie le temps d’un passage lumineux.Pendant quelques minutes la lumière rendra des couleurs aux squelettes de ces animaux marins qui meurent sous nos yeux.

Rouge. Pouvez-vous nous parler de cette série d'œuvres ? Quelle en était l'idée et comment l'avez-vous développée ? Qu'est-ce qui vous guide dans le choix de la couleur de vos sculptures ?

Le rouge a Ă©tĂ© pour moi une pĂ©riode. J’ai dĂ©clinĂ© Ă  l’envie ses diffĂ©rentes tonalitĂ©s. En occident le rouge est associĂ© Ă  l’énergie, Ă  l’action, Ă  la passion. Pour certains c’est aussi la violence, le sang, la mort. J’ai souvent eu des rĂ©flexions sur cette piste. J’Ă©tais alors heurtĂ©e par les mots parfois très blessants qui accompagnaient une installation “c’est sorti d’un film gore des annĂ©es 80”. Et puis je suis partie en CorĂ©e en 2013, mais loin de dĂ©goĂ»ter cette fois ci le rouge comme souvent en Asie Ă©tait associĂ© Ă  la fortune, la joie, la prospĂ©ritĂ©, Ă  une longue vie, c’est une couleur qui symbolise la filiation, l’arbre gĂ©nĂ©alogique. Il en sortait quelque chose de très positif. Le rouge Ă©tait mis en avant, loin de rebuter il Ă©tait fĂŞtĂ© ! Le monde est vaste!
Lorsque je choisis une couleur je vais d’abord l’explorer : sa symbolique, sa force évocatrice, sa résistance à la lumière, sa profondeur, ses nuances existent elles au naturel, ses pigments.
C’est une des raisons pour laquelle je me suis longtemps intĂ©ressĂ©e aux pigments naturels, notamment le pastel. Cette plante utilisĂ©e depuis la nuit des temps est peut ĂŞtre le pigment le plus ancien ayant servi Ă  teindre les tissus avant d’être dĂ©trĂ´nĂ©e par l’indigotier et aujourd’hui par les colorants de synthèse. Mais je n’ai pas travaillĂ© que le rouge ! le noir, le bleu, le vert, le jaune, le blanc etc. La couleur est en lien direct avec la forme que je crĂ©e et le travail de mes mains. Ici je veux mettre un nĹ“ud en valeur, ailleurs ce sera plutĂ´t un creux. La nuance de la couleur va renforcer les pleins et les dĂ©liĂ©s comme dans une Ă©criture. En fait, je n’utilise pas qu’une seule tonalitĂ©, mais des dizaines de nuances mĂŞme quand les pièces ont l’air monochrome.

Très récemment s’est tenue l'exposition en duo "Fils Sculptés" Aude Franjou / Indra Milo. Tout en respectant les lignes de recherche personnelles, y a-t-il une vision, une suggestion ou une approche commune qui relie vos œuvres et celles d'Indra Milo ? Comment est née l'idée de cette exposition ?

Cette exposition est nĂ©e d’un ami argentin qui fait vivre son atelier autour de la musique, du spectacle vivant. C’est un lieu ouvert qui explore toute forme d’expression artistique. Exposer mon travail Ă©tait son coup de cĹ“ur. Il m’a rapidement prĂ©sentĂ© Indra qui est sculpteuse sur bois. Elle mĂŞle le fil Ă  ces bois, c’est lĂ  que nous avons pu tisser des liens entre nos deux mĂ©dias.

Des projets futurs ?

Y a-t-il un projet que vous souhaitez me proposer ?

■ Maria Rosaria Roseo, Rédactrice en chef, ARTEMORBIDA Textile Art Magasine